Lancé en Algérie en 2002, le leasing est en plein boom. Des taux de croissance de 20 à 30% par an, de nouveaux produits et de nouveaux acteurs publics qui ambitionnent de combler leur retard par rapport aux opérateurs privés qui ont pris une longueur d’avance. Un dynamisme que le gouvernement tente d’encourager. D’ailleurs, il vient de reconduire les avantages fiscaux dont bénéficie cette activité. Pour se réaliser, le potentiel du secteur, jugé très important par les spécialistes, devra, cependant, s’attaquer au problème des taux d’intérêt jugés actuellement trop élevés par beaucoup d’entreprises clientes des sociétés de leasing ou tentées par ce produit financier.
On connaît la boutade célèbre de Réda Hamiani : “En Algérie, les petites entreprises restent petites et les moyennes entreprises restent moyennes.”
Elle exprime la frustration des patrons algériens, dans leur immense majorité dirigeants de PME de taille modeste, face au peu de soutien dont ils estiment bénéficier de la part du système bancaire, notamment pour financer leurs investissements et passer à une taille supérieure.
Une situation qui a suscité, au cours des dernières années, la création ou l’annonce de la création de nouveaux instruments financiers développés de longue date dans les pays voisins ou comparables. Le leasing est l’un d’entre eux parmi les plus prometteurs et celui qui connaît actuellement le développement le plus rapide.
Une formule avantageuse
Le leasing est un mode particulier de financement des investissements, où la société de leasing met un bien d’équipement à la disposition d’une entreprise pour une période déterminée contre le paiement d’un loyer. Au terme du contrat, l’entreprise a généralement le choix entre restituer le bien ou l’acquérir pour un montant défini lors de la conclusion du contrat.
En Algérie, les principales activités concernées par le leasing sont surtout le transport et les travaux publics où on permet aux entreprises d’acquérir des véhicules à usage professionnel ou des engins avec des modalités de paie- ment très souples et des échéances qui vont en général de 12 à 48 mois. La formule a également séduit beaucoup d’entreprises de l’agroalimentaire et du secteur des matériaux de construction. En permettant aux clients des institutions financières du secteur d’acquérir des équipements «à crédit» et sans l’exigence d’un apport personnel ni de garantie, ce produit constitue
«la réponse idoine aux attentes des PME en extension, aux professions libérales ainsi qu’aux grandes entre- prises», commente un cadre de l’ABEF.
Une activité dominée par les institutions financières privées
Destiné à alléger le coût d’acquisition des équipements pour les PME, le créneau du leasing était jusqu’à une date récente occupé en Algérie, depuis son apparition en 2002, par un petit nombre d’institutions financières presque toutes étrangères. ALC, Maghreb Leasing, Société Générale, Natexis, Al-Baraka ou encore BNP Paribas se partagent un marché qui reste d’une taille modeste, estimé à environ 30 milliards de dinars (près de 300 millions de dollars) en 2011, mais qui se développe à un rythme très élevé. On parle d’un taux de croissance de près de 30% par an et d’un marché potentiel de plu- sieurs milliards de dollars. C’est ce qu’indique, en particulier, une étude récente réalisée par Humilis Finance. Selon son P-DG, M. Lyès Kerrar, l’offre de leasing couvre actuellement une proportion modeste de quelque 8% de la demande potentielle. «La demande potentielle est de l’ordre de 4 milliards de dollars, alors que l’offre actuelle est de seulement 300 millions de dollars« , précise M. Kerrar.
Des acteurs publics en phase de démarrage
C’est dans le but de stimuler le développement du leasing que les autorités du secteur avaient donné, à la fin de l’année 2008, instruction aux banques publiques de créer leurs propres filiales spécialisées dans cette activité. C’est ce que certaines d’entre elles ont fait, avec beaucoup de retard, au cours de l’année dernière. La BEA s’est distinguée de ses consœurs du secteur pu- blic en s’associant dès 2009 à une banque portugaise, Banco Espirito Santo en l’occurrence, pour créer Idjar Leasing Algérie. Quelques semaines plus tôt, la BNA et la BDL avaient décidé de rester en pays de connaissance en signant un accord pour créer en- semble la Société nationale de leasing (SNL). Entrée en activité en juillet 2011, la SNL a reçu, selon un bilan tout récent de ses activités dressé par son P-DG, M. Mohamed Krim, un total de 374 demandes de financements. M. Krim précise que ces dossiers représentent une somme de 3,8 milliards de dinars, dont un milliard de dinars ont été déjà accordés aux demandeurs.
Un dernier établissement financier spécialisé devait entamer ses activités fin décembre 2012, c’est ce qu’a annoncé récemment, à l’APS, son directeur général, M. Rachid Metref. El Djazair Idjar-SPA est détenu par le Crédit populaire d’Algérie (CPA) et la Banque de l’agriculture et du développement rural (BADR) à hauteur de 47% chacun, ainsi que la Société algéro-saoudienne d’investissement ASICOM pour une part de 6%. Le ni- veau d’activité de ces nouvelles filiales des banques publiques est, donc, encore très modeste et le secteur reste très largement dominé par les institutions financières privées.
Le leasing immobilier arrive
Sur un marché où la concurrence est vive et la croissance très rapide, de nouveaux produits sont en cours de développement et la Société nationale de leasing (SNL), filiale de la BNA et de la BDL, annonçait récemment vouloir se lancer, avant la fin de l’année, dans la commercialisation du leasing immobilier qui permettra l’acquisition par les PME d’immeubles administra- tifs, de magasins, d’installations industrielles et commerciales et de terrains à usage professionnel. Une di- rection que devrait également emprunter un des acteurs les plus expérimentés du secteur, Société Générale Algérie, dont le président du directoire, Pierre Boursot, assure qu’il s’agit d’un créneau porteur et appelé à un bel avenir, dès lors que «la loi le permet et la fiscalité l’encourage». Abdelkader Beltas, le P-DG de la Société de refinancement hypothécaire (SRH), organisme public de finance- ment qui a été autorisé l’année dernière par le Conseil de la monnaie et du crédit à élargir ses activités au leasing immobilier, précise les conditions d’octroi de ce mode de financement :
«Notre objectif est d’accompagner les professionnels qui ont au moins 3 ans d’activité pour le développement de leurs entreprises et nous leur offrons pour cela un financement à long terme allant de 5 ans à 15 ans. Il s’agit d’un type de financement qui manque sur le marché actuellement.»
Reconduction des avantages fiscaux
Même s’il semble appelé à un avenir très florissant en Algérie, le développement du leasing semblait récemment, selon beaucoup d’opérateurs du secteur, menacé par la remise en cause des nombreux privilèges fiscaux dont il a bénéficié au cours des dernières années. Au premier rang d’entre eux figure l’avantage fiscal majeur que constitue la déductibilité des loyers du bénéfice imposable des entreprises. Le sursis accordé en 2010 aux sociétés de leasing pour se préparer à la mise en œuvre des nouvelles normes internationales d’information financière de l’IFRS devait prendre fin à la fin de l’année 2012. Les sociétés financières ont pu obtenir via l’ABEF un délai de trois ans pour mettre en place le nouveau système comptable. L’exercice 2013 devait, donc, être le point de départ pour son application. Pour les sociétés de leasing, l’uniformisation, qui a pour effet d’éliminer la distinction comptable entre crédit-bail et financement bancaire, pose de sérieux problèmes. «Avec l’IFRS, l’avantage fiscal inhérent au paiement d’un loyer sera supprimé. C’est l’intérêt même de la formule leasing qui pouvait être remis en cause», commentait un professionnel.
Les sociétés de leasing tentaient, donc, depuis plusieurs mois de négocier, via l’ABEF, avec le gouvernement pour obtenir un nouveau sur- sis, voire mieux, une dérogation en bonne et due forme qui tienne compte du caractère spécifique des sociétés de leasing. C’est ce qu’elles viennent d’obtenir. Dans une instruction adressée, le 10 décembre 2012, aux différents établissements financiers, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a souligné la nécessité de développer le leasing comme moyen de finance- ment des investissements et a confirmé le statut dérogatoire des sociétés de leasing en matière d’amortissement fiscal, en vue de leur permettre d’améliorer leur performance et leur présence aux côtés des PME.
Un beau cadeau d’anniversaire qui permet, pour les 10 ans du secteur, aux établissements financiers pratiquant le leasing d’aligner l’amortissement fiscal des équipements qu’ils acquièrent sur leur amortissement financier. Une mesure qualifiée par le délégué général de l’Association des banques et établissements financiers (ABEF), Abderrezak Trabelssi, de «soulagement» pour une activité de leasing qui représente, selon les estimations de l’Association des banques, plus «optimistes» que celles généralement ad- mises jusqu’ici, un marché de quelque 60 milliards de dinars en 2012.
Réduire le coût du leasing pour accompagner les entreprises
Du côté des entreprises de plus en plus nombreuses qui utilisent ou voudraient utiliser cet instrument de financement de leurs investissements, les commentaires sur les avantages du leasing sont plus mitigés. Bien que le gouvernement ait décidé en 2011 le plafonnement des taux d’intérêt servant de base au calcul des loyers pratiqués par les opérateurs du secteur,
ces taux d’intérêt restent très élevés et tournent actuellement autour de 9%. La plupart des chefs d’entreprise qualifient le taux d’intérêt (loyer) des financements leasing appliqué par les banques de «trop élevé», ce qui empêche beaucoup d’investisseurs de sol- liciter ce type de financement.
«Le taux d’intérêt (loyer) est de 9% hors taxes. Avec la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui est à la charge de l’entreprise, ce taux revient à plus de 12%. C’est trop cher pour les PME», regrette le président de l’Association générale des entrepreneurs algériens (Agea), Mouloud Kheloufi.
Dans le contexte actuel, les entreprises privées préfèrent, poursuit-il, «compter sur les moyens du bord pour financer leurs investissements car avec le leasing, ils travailleront beaucoup plus pour l’intérêt des banques». M. Kheloufi propose de «ramener les taux d’intérêt à 3 ou 4%, si les banques veulent vraiment accompagner l’épanouissement des entreprises algériennes».
H. H.