Des mécontents au Batimatec 2011
On ne peut bâtir l’Algérie sans ses architectes







Il est 13 heures sur l’esplanade de la Safex. Le Batimatec, sous le patronage de la présidence de la République, est ouvert depuis 2 heures. Le dispositif sécuritaire est en place pour couvrir l’arrivée de Noureddine Moussa, ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, accompagné d’une délégation de diplomates.

Subitement, les agents de l’ordre, talkieswalkies collés à l’oreille, se précipitent vers les escaliers du pavillon central. En haut des marches, une foule scande des slogans autour de deux hommes en confrontation. Nous nous frayons un chemin à travers la masse et nous trouvons Athman Touileb, président du Conseil national de l’Ordre des architectes face à Rachid Gasmi, directeur de la Safex. «Non à l’assassinat du métier d’architecte », brameM. Touileb qui compte faire barrage au passage du ministre. Il ajoute : «Nous avons eu des promesses de Monsieur le président de la République, en 2007, lors des assises de l’architecte pour revaloriser notre métier mais le ministère bloque les décisions prises.» Sur la défensive, M. Gasmi rétorque : «C’est votre droit de contester ! Mais je ne suis pas le bon interlocuteur ! La Safex n’est pas concernée par ces problèmes !». La foule d’architectes en choeur : «Faites venir le ministre ! Nous voulons parler au ministre !»

Pour Rachid Gasmi, la situation est gênante à plus d’un titre. Il ne s’agit pas seulement de faire bonne figure devant le ministre, ses accompagnanteurs et lesmédias autour. Mais, cette année la Safex et son partenaire Batimatec Expo sont sur le point d’obtenir le label de la plus prestigieuse organisation professionnelle des foires et salons, en l’occurrence, l’UFI. Cette consécration sera le fruit de 14 années de travail ardu, de perfectionnement de la gestion et de l’image du salon queM. Gasmi ne souhaite pas voir ternie par une contestation inopinée dès le premier jour. De l’autre côté du ring, à la tête de plus de sept mille adhérents, le président du Conseil de l’Ordre que nous avons interrogé, dénonce l’avant-projet de loi sur la maîtrise d’oeuvre : «On ne peut bâtir l’Algérie sans ses architectes. Noureddine Moussa a promis de nous consulter sur cet avant-projet et il n’a pas tenu promesse !», nous dira M. Touileb. Alerté par ses collaborateurs sur l’arrivée imminente de la délégation,M. Gasmi fait une dernière tentative pour éviter la confrontation : «Je m’engage à mettre à votre disposition une salle de conférence et vous pourrez vous exprimer librement durant le Salon. Je vous demande juste de nous éviter l’humiliation devant les étrangers. » L’argument nationaliste trouve bonne oreille et les manifestants remballent finalement banderoles et bannières en se dispersant sur fond d’un nouveau slogan : «Ce n’est qu’un début !».

Non à l’anonymat !
Sur place,M. Touileb revendique le retour au décret n° 94-07 du 18/05/94 qui est le cadre de référence organisant la profession. Il nous déclare : «La nouvelle réglementation favorise les bureaux d’études dotés de moyens matériel [dans la notation technique les appels d’offres, Ndlr] et donne peu de valeur au travail architectural. L’architecte ne pourra rivaliser avec les moyens dont disposent les entreprises. Il deviendra un fonctionnaire. Nous sommes contre l’anonymat !». Curieusement, presque au même moment, le ministre de l’Habitat déclarait à son auditoire : «A l’étranger, les bâtisses sont signées par les architectes qui les ont conçues. Ici, les architectes son anonymes ; on ne les connaît pas !»

Un architecte est équivalent à une imprimante laser
De leur côté, les architectes interrogés sont consternés par le processus d’homogénéisation des cahiers des charges que lancent les services d’uranisme (DAL, DUCH, DLEP). Actuellement, les notations donnent avantage non pas à l’oeuvre,mais aux moyens du soumissionnaire. Lamia, une architecte venue de Constantine, nous dira : «Les notations des offres sont aberrantes. Un ingénieur tout comme un architecte, avec moins de quatre ans d’expérience est noté deux points. Une imprimante laser aussi ! Un véhicule vaut dix points, un appareil topographique dix points…» Noureddine Khelfi, architecte et expert judiciaire, s’interroge sur l’avant-projet de cette loi qui met au rebut le décret 94-07. Il se souvient du cadre de concertation qui prévalait au temps du défunt ministre Meghlaoui. Un débat qui a abouti à la création à partir de l’Union des architectes, d’un Conseil national de l’Ordre. C’était l’aboutissement d’un débat mené de main de maître par Toufik Guerrouge, directeur central auministère de l’Habitat chargé del’architecture.

L’architecte, cet artiste créateur
M. Khelfi nous explique que ce projet de loi nie le caractère de l’architecte en tant que profession libérale et non une activité libérale comme il tient à le préciser, “car, on veut placer ce métier sous l’égide d’un ministère”. En effet, nous avons relevé dans l’article 99 du projet de loi dont nous avons eu une copie, qu’un Ordre national des architectes est institué sous l’autorité du ministre chargé de l’architecture. «Les bureaux d’études, devenus des EPE SPA, sont régis par le code du commerce, alors que nous, architectes sommes agréés, régis par un code de déontologie. L’architecte n’est pas étoffé matériellement ; c’est un créateur, un artiste qui ne peut rivaliser avec les moyens des entreprises. De plus, les articles 554 et 555 du code civil imposent la responsabilité civile à l’architecte et l’entrepreneur qui risquent l’emprisonnement en tant que personnes physiques. Il ne s’agit pas ici d’entreprises.»

Quel avenir pour l’architecte ?
Techniquement, M. Khelfi, architecte depuis 27 ans, expert judiciaire et conseillé, ne peut soumissionner aux concours d’architecture car, n’ayant pas travaillé à son compte récemment, il ne peut présenter les 3 derniers bilans comme exigé et ne dispose pas de matériel pour être bien noté. Son fils, fraîchement diplômé à Constantine, ou il n’y a pas de bureau d’études, a pu décrocher une promesse d’embauche à Oum El-Bouaghi. Le recrutement devant se faire à travers l’Anem, celle-ci lui refusera le transfert car elle doit favoriser les candidatures locales. «Voila à quoi seront confrontés les 1 000 à 1 600 nouveaux diplômés d’architecture», conclura M. Khelfi.

Nacib Hamida

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