BTPAlgérie : Est-il vrai que dans trois mois, les travaux de construction de la dernière section de la route transsaharienne (RTS), à l’état de piste sur l’axe Alger-Lagos, vont être lancés ?
M. Mohamed Ayadi : Effectivement, les travaux de la dernière section sur l’axe Alger-Lagos vont être lancés dans deux mois et demi à trois mois à peu près. Le Comité tiendra une session au Niger, à Niamey, le 23 septembre et la date exacte du lancement officiel de ces travaux sera arrêtée. Il est à signaler que les soumissions des entreprises sont ouvertes et l’analyse des offres est faite. Il ne reste plus que le choix final et l’aval des bailleurs de fonds.
Que représente cela pour vous ?
C’est un événement important parce que c’est la victoire de la persévérance et c’est aussi la démonstration que des pays africains peuvent travailler ensemble sur de grands projets. C’est particulièrement important sur le plan économique parce que la réalisation des routes, de manière générale, permet de se déplacer plus facilement, plus vite et de transporter des marchandises dans les meilleures conditions. C’est aussi important parce que cela vient désenclaver des régions entières. Chez nous, par exemple, la RTS est le poumon de la wilaya de Tamanrasset et cette ville connaît une véritable métamorphose. La coupure de la RTS suite aux inondations de 2002 a failli asphyxier la wilaya. Il n’y avait plus de gaz, par exemple. Par ailleurs, les marchandises en provenance ou à destination du Niger, pays enclavé de plus de 17 millions d’âmes, pourront être acheminées dans de bonnes conditions de transport aussi bien vers les ports méditerranéens que vers ceux du golfe de Guinée. Les études économiques révèlent que la construction de cet axe procure une économie de transport de plus de dix jours pour les régions du centre et du nord du Niger lorsque les marchandises empruntent les ports méditerranéens plutôt que le golfe de Guinée.
C’est également important parce que Alger-Lagos est un axe transafricain ; il part du Maghreb pour aller jusqu’en Afrique de l’Ouest et jusqu’à une grande ville, Lagos de l’Afrique de l’Ouest.
Où en est le projet physiquement parlant dans chaque pays ?
En Algérie, on a construit sur l’axe principal Alger-Lagos quelque 1 480 km entre El-Goléa etAinGuezzam, à la frontière avec leNiger. C’est beaucoup. Ce qui est important de dire aussi en ce qui concerne notre pays, c’est que dans le schéma national d’aménagement du territoire, l’Algérie est en train de donner des caractéristiques remarquables à deux axes majeurs qui sont des axes transafricains et qui inscrivent notre pays harmonieusement avec les pays voisins et toute la région. Il s’agit horizontalement de l’autoroute Est-Ouest qui est un axe trans-maghrébin. Et nous avons transversalement un ancrage dans l’Afrique, dans les pays du Sahel, qui est constitué par la route transsaharienne. Il y a actuellement en cours un projet de dédoublement de la RTS, qui part d’Alger et qui va jusqu’à la ville nouvelle d’El-Ménéa sur 1 000 km. C’est une révolution parce que le transporteur qui part d’Alger pour aller à Lagos ou à Tamanrasset va gagner quelque chose qui ressemble à une heure et demie de temps. C’est monumental. L’Algérie, par ailleurs, est en train de construire sur la branche malienne entre Silet et Timiaouine une section de 200 km en direction de la frontière avec le Mali. Il ne reste plus que 200 km qui suivront une fois les premiers terminés.
Au Mali, un grand retard est accusé. La route revêtue de Bamako jusqu’à Gao est d’une longueur de 1 200 km mais celle de Gao jusqu’à la frontière en Algérie, de 700 km, est à l’état de piste. Au Niger, la route transsaharienne fait 1000 km sur l’axe Alger-Lagos et 600 km, entre Zinder et la frontière avec le Tchad. Il ne reste plus à construire au Niger que 225 km, dont le lancement des travaux est imminent.
AuNigeria, la route transsaharienne fait 1 130 km et tout est réalisé. La moitié de ce linéaire est en deux fois deux voies.
Au Tchad, la route transsaharienne compte un peu plus de 570 km entre N’Djamena, la capitale et N’Guigmi, à la frontière avec le Niger, dont 150 construits. Il reste, donc, près de 420 km mais nous avons réussi à mobiliser l’ensemble des financements. Les travaux sont en train d’être lancés en cascades.
A propos du Mali, quel est aujourd’hui l’impact des événements sécuritaires sur l’avancement du projet ?
Il est vrai que la branche malienne au Mali accusait déjà un assez grand retard à la veille du début des événements. Ce qui a été construit, c’est le pont de Gao. Certes, il est important mais le Mali accuse un retard et le problème se pose différemment. En effet, dans ce pays, ce n’est pas seulement un problème de routes mais aussi un problème de retard d’équipements.
En réalité, pour le Mali, le Comité de liaison de la route transsaharienne (CLRT) souhaiterait conduire un plan de développement qui couvre la zone d’impact de la RTS entre Tamanrasset et Gao pour prendre en considération les potentialités naturelles et humaines de la zone dans les deux pays. Faire en sorte que l’on puisse créer une synergie entre les potentialités des deux pays pour aller jusqu’à une stratégie, définir des objectifs, travailler ensemble, hiérarchiser les actions, pour avoir une lisibilité sur l’avenir. Aujourd’hui, il y a des turbulences mais nous espérons que tout sera terminé bientôt et qu’une démarche novatrice sera mise en oeuvre.
Pourquoi la réalisation de ce projet de la route transsaharienne a pris tout ce temps ?
Souvenez-vous qu’au cours des années 80, dans notre pays, lorsqu’on était dans la difficulté financière, les projets de travaux publics avaient été mis en veilleuse. Cela veut dire qu’il faut avoir de l’argent pour réaliser le projet et certains pays n’en disposent pas. C’est la difficulté première. L’Algérie, le Nigeria et la Tunisie n’empruntent pas pour leurs projets de la route transsaharienne. Ce n’est pas le cas pour leMali, leNiger et le Tchad. Eux empruntent. Et un bailleur de fonds prête à celui qui a de l’argent. Nous avons alors fait un grand travail de sensibilisation auprès des bailleurs de fonds et nous les avons rassurés sur le bien fondé économique de la construction des sections de la RTS. La découverte des gisements de pétrole au Tchad et au Niger, il y a une dizaine d’années, a conforté notre position. Ce n’est pas énorme mais c’est suffisant pour rassurer les bailleurs de fonds. Nous sommes aujourd’hui dans un moment faste. Je vous disais tout à l’heure qu’au Tchad, 420 km ont trouvé les financements et nous avons autour de nous les bailleurs de fonds du continent, c’est-à-dire la BAD, la BID, la BADEA, le fonds de l’OPEP, ainsi que les banques arabes, à savoir les fonds koweïtien et saoudien. Aujourd’hui, le projet de la route transsaharienne est l’objet d’une grande sollicitude de la part des bailleurs de fonds et nous sommes dans une phase très favorable.
Qu’en est-il des institutions continentales (CEA, UAet NEPAD) ?
Ces institutions, notamment la Commission de l’Union africaine (CUA) et la Commission économique des nations unies pour l’Afrique (CEA), sont là pour prendre en charge un certain nombre de problèmes à l’échelle du continent. Les problèmes d’ordre politique, le sous développement, la famine, etc. Pour ce qui nous intéresse, elles s’occupent du transport. Pourquoi ? Parce qu’on s’est aperçu que l’Afrique ne représente dans le volume du commerce mondial que 3%et les experts disent que ce taux est à ce niveau parce que les infrastructures de transport sont faibles. Ces institutions organisent des réunions qui nous permettent d’échanger. Le bras technique de la CUA, c’est le nouveau partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD). Ce sont des moments où on parle de normes, de réseaux, de facilitations au niveau des postes douaniers. En parlant du commerce et d’infrastructures, il est nécessaire de souligner que dans un produit importé ou exporté, le coût du transport est de 20% à 50% pour les pays enclavés comme le Niger, le Mali et le Tchad. C’est énorme. En Europe, il est de 4%. Au Maghreb, 10% à 14%. Il y a, donc, des problèmes majeurs et justement ces institutions sont là pour en parler. Le NEPADfait la coordination concernant, notamment, des projets pilotes, à l’exemple du canal qui doit relier les eaux du lac victorien jusqu’au Caire et du projet route-rail entre Dakar et Djibouti. Ce sont ces projets-là qui sont suivis par le NEPAD et qui nous permettent les uns et les autres d’apprendre et de faire part de nos expériences.
Dernière question, vous avez élaboré, en 2009-2010, une étude sur les potentialités d’échanges commerciaux entre les pays membres du comité ; quels en sont les enseignements ?
Notre premier enseignement est que la route ne suffit pas pour accroître significativement le volume des échanges. Par exemple, sur l’axe Alger- Lagos, même si on a réalisé presque la totalité (4 500 km), nous avons constaté que les échanges demeuraient faibles au droit de la frontière entre l’Algérie et le Niger, alors qu’ils sont plus significatifs entre le Niger et le Nigeria. Les échanges nord-sud Maghreb-Pays sahéliens sont donc faibles. Avec le Mali, encore plus. Et l’une de nos conclusions, est qu’il faut créer une instance qui s’occupe de ces échanges. Une instance qui aura pour mission de faciliter, de vulgariser, de renseigner les acteurs, les orienter et les aider pour leurs échanges. Il n’y a pas deux jours, un commerçant m’a appelé du Mali ; c’est un français. Il m’a dit qu’il voulait transporter des peaux à partir du Mali vers la Tunisie. C’est à ce genre de sollicitations que l’instance que nous voulons mettre en place doit répondre. Par ailleurs, je voudrais souligner que cette coopération entre les six pays africains, et qui est absolument remarquable, est un modèle aujourd’hui sur notre continent. Elle serait, toutefois, incomplète, à mon sens, si les entreprises algériennes ne prenaient pas part au projet. Il y a actuellement 625 km à construire, dont 225 km au Niger et 400 km au Tchad. Nos entreprises savent construire des routes dans les zones sahariennes. Elles ont des avantages comparés importants. Le carburant coûte moins cher chez nous. Elles peuvent travailler dans un pays limitrophe avantageusement. Ce sont des éléments qui peuvent leur permettre d’être moins disant, des occasions pour nos entreprises pour aller affronter l’international. Tous les jours dans notre pays, on dit qu’on n’exporte pas, voilà une opportunité qui arrive en son temps. Ne pas saisir cette opportunité serait vraiment une erreur.Une réunion de sensibilisation qui a donné ses fruits s’est tenue, le 14 juillet 2014, au ministère des Travaux publics à ce propos. Je tiens à en remercier très vivement M. Abdelkader Kadi, ministre des Travaux publics, qui a présidé personnellement cette réunion.
Un dernier mot…
Notre pays a été bien inspiré de prendre part à ce projet au début des années 1970. Il a joué un rôle moteur et donné l’exemple dans le linéaire réalisé comme dans les actions qui ont contribué à réunir les meilleures conditions pour la conduite de ce projet.
Sonia C.