M.Mehsas Kamel, président de la Fédération algérienne des travaux publics (FATP)
Aucun pays n’a été construit par un autre. Nous sommes en mesure de construire le nôtre…

M.Mehsas Kamel, président de la FATP

Favoriser les entreprises algériennes du BTPH pour la réalisation du 3e plan quinquennal, construire l’Algérie par les Algériens qui sont en mesure de le faire, telles sont les premières suggestions que veut faire entendre aux pouvoirs publics le président de la toute nouvelle FATP qui fédère près de 200 entreprises de catégorie 8 et 9 qui ont en moyenne 20 ans d’existence dans le secteur de la construction et de l’industrie.

BTPAlgérie : Avant d’entrer dans le vif du sujet de cette interview, présentez- nous l’objectif de la naissance de la FATP

M. Kamel Mehsas : Ancien étudiant de l’Ecole des travaux publics, docteur d’Etat en travaux publics, je me suis investit dans le secteur depuis 20 ans comme promoteur, entrepreneur, ensuite industriel, et on a montré dans le domaine de la construction nos capacités comme bâtisseurs et industriels. La Fédération algérienne des travaux publics est un ensemble d’opérateurs qui sont réunis pour représenter la corporation auprès des pouvoirs publics. Notre principal but est l’utilisation de l’outil de production national pour réaliser le programme quinquennal du président de la République.

On a eu à constater que nous avons le savoir-faire, les compétences et les moyens, ce qui nous manque, par contre, c’est l’organisation. Le but principal de la fédération est de présenter les potentiels humain et matériel auprès des pouvoirs publics, à savoir les quatre ministères qui nous concernent, soit les Travaux publics, l’Hydraulique, l’Aménagement du territoire et l’Habitat. Nous sommes organisés et nous avons réuni les compétences pour leur dire que nous sommes en mesure de réaliser l’ensemble des programmes d’investissement.

Du côté des pouvoirs publics, on parle de savoir-faire pour soumisionner…

Le savoir-faire nous l’avons acquis et on l‘a. Cela fait environ une trentaine d’années qu’on existe et qu’on investit le secteur. Certes, avant un Algérien ne savait pas réaliser une trémie, mais maintenant il sait le faire. Il est vrai aussi qu’avant on ne savait même pas ce que c’est un séparateur de béton, maintenant n’importe quelle société nationale sait le faire. Avant,  les Algériens ne réalisaient pas des barrages, maintenant ils le font. Des manquements existent, et quand il y a des complexités qui nous dépassent, on est obligé d’importer de la compétence, mais au lieu de faire appel exclusivement aux sociétés étrangères. À nous, sociétés algériennes, de solliciter quelques compétences.

Ainsi, on aura moins de devises à dépenser ou à transférer, et en plus, nous formons nos techniciens et nos ingénieurs.

Il y a deux thèses qui se contredisent : d’un côté, on dit qu’il y a un problème de compétence et vous vous dites que nous avons le savoir-faire ; pouvez-vous nous éclairer à ce sujet pour savoir exactement pourquoi les entreprises algériennes ne sont pas retenues ?

Je dirais qu’il y a une grande majorité d’entreprises nationales privées ou publiques qui ont ce savoir-faire et qui l’ont démontré sur le terrain durant le premier quinquennal. Ce sont elles qui l’ont réalisé à 80%. Ce savoir-faire, au risque de me répéter, existe, il faut le découvrir et surtout lui donner une chance. Il faut faire confiance à nos capacités.

L’Algérien est capable de faire beaucoup de choses, il faut seulement lui faire confiance. Qui dit confiance dit volonté.

Le dada de la fédération est l’attribution des plans de charges à l’entreprise nationale pour désengager l’Etat…

Favorisez les entreprises locales du BTPH, faites-nous confiance, nous disposons de suffisamment de capacités pour réaliser ; tel est le message que nous adressons aux donneurs d’ordres. J’insiste sur la confiance car nous sommes suffisamment dotés en moyens humains et matériels. Maintenant, les sociétés sont surdotées, elles ont investi et disposent de matériels qu’ils n’utilisent pas. Il y a un excédent qui n’est pas mis en exploitation.

Le monde du BTPH bouge énormément, le secteur pullule en associations : votre fédération, la confédération et puis la confédération générale et tant d’autres. Vous ne pensez pas que vous partez en rangs dispersés…

Sincèrement, nous sommes une association de professionnels qui a montré ses capacités sur le terrain, donc nous sommes le seul interlocuteur. Nous fédérons plus de 200 sociétés de catégories 8 et 9. Des sociétés de gros gabarit qui ont réalisé pas mal de projets et ces sociétés ont les moyens humains et techniques pour réaliser des projets.

A première vue, votre association semble revêtir un rôle syndical…

Non, c’est un rôle d’association, des opérateurs qui ont en moyenne 20 ans de terrain et très au fait des problèmes.

La fédération a la prétention de faire parvenir aux pouvoirs publics des propositions concrètes, le message syndical est très mal perçu et même des fois mal transmis. Comme je vous l’ai dit plus haut, nous sommes une association acteur du BTPH, active sur le terrain professionnel, c’est pour cela que nous voulons nous représenter nous-mêmes auprès des pouvoirs publics pour mieux faire passer le message.

Donc, qu’elle est la première motivation qui vous a permis de vous regrouper ?

Notre premier souhait est de faire participer l’outil national public ou privé dans le prochain plan quinquennal.

D’ailleurs, notre sigle est clair : “Ensemble pour l’édification de l’Algérie.”

Nous voulons construire l’Algérie par des mains algériennes. Aucun pays n’a été construit par les autres que ses nationaux. L’étranger vient, il amasse une fortune et s’envole. Par contre faire travailler les Algériens, c’est une plus-value. C’est nous qui faisons travailler la main-d’oeuvre et la sous main-d’oeuvre, etc.

Concrètement, étant plus présent sur le terrain, est-ce que les entreprises sont prêtes à réaliser des projets aussi pharaoniques, sachant que l’autoroute Est-Ouest a été l’œuvre de deux grandes puissances ?

Nous avons aussi un autre message à transmettre aux entreprises des travaux publics : réorganisez-vous en SPA pour ne pas rester à l’état primaire. Autrement dit, faites évoluer vos statuts et regardez l’avenir autrement pour se  positionner au même niveau que les sociétés internationales et, bien sûr, en discutant entre opérateurs.

Avant vous, d’autres ont aussi plaidé pour la faveur du national ; avez-vous établi déjà un état des lieux et est-ce que les pouvoirs publics sont plus réceptifs ?

Oui, dans ce sens il y a eu des améliorations sur quelques projets qui ont été confiés à des entreprises algériennes, mais nous ce que nous demandons c’est que se soit l’outil national privé et public qui doit réaliser les prochains projets.

Sans détour, cela veut-il dire que vous demandez la totalité des réalisations ou, autrement, êtes-vous pour plus de patriotisme économique ?

On a remarqué que les grands projets ont été attribués en notre absence, mais maintenant, on est en train d’expliquer aux pouvoirs publics qu’il faut que l’outil national soit partie prenante dans les réalisations nationales. Le ministre des Travaux publics est prêt à travailler avec notre fédération. Pas plus loin que la semaine passée, le ministre de l’Aménagement du territoire s’est montré disposé à travailler avec notre fédération dans tous les projets de réaménagement du territoire qui concernent les villes nouvelles, soit Boughzoul, Sidi Abedallah ou Menaâ. Ils nous ont bien accueillis, ils se sont montrés disposés à travailler avec nous ; du moins pour ceux qu’on a déjà rencontrés.

Nous avons justement eu échos que les pouvoirs publics sont plus favorables à attribuer aux entreprises locales l’autoroute des Hauts-Plateaux ; pouvez-vous nous confirmer ou infirmer cela ?

Moi je vous dis en toute honnêteté, nous sommes en train de tabler sur de nombreux projets en faveur de l’entreprise algérienne, aussi bien l’autoroute des Hauts-Plateaux que les pénétrantes. D’ailleurs, le ministre nous avait rassuré à ce sujet. Il nous a demandé de nous organiser en groupement d’intérêt pour réaliser ce programme d’autoroute.

Nous tablons aussi sur les projets hydrauliques concernant les adductions et réalisations de barrages et aussi intéressé aux chemins de fer, dont le réseau à construire est l’un des projets colossaux. On veut réaliser, les étrangers pourront pallier nos faiblesses en termes d’électrification et d’électronique.

Concernant l’assainissement, le terrassement ou la pose de rails, on est capable de le faire, soit tout ce qui est aménagement pour les nouvelles villes en termes de bitumage, réalisation de quelques infrastructures…

D’après vous, à quel niveau bloquent les sociétés nationales, est-ce avant les soumission ou après ?

Avant, les cahiers des charges éliminaient de facto les entreprises algériennes, mais maintenant, les pouvoirs publics ont révisé les cahiers des charges. Fragmenter les projets au lieu de demander un chiffre d’affaires de l’ordre de milliards de dollars hors de notre portée. Il faut fractionner les projets en lots pour donner la chance aux entreprises algériennes, et à ce moment-là, les critères d’éligibilité sont moins difficiles à satisfaire.

La qualité de certaines réalisations laisse à désirer, dit-on au sujet des réalisations algériennes, et les pouvoirs publics engagent actuellement une action de sensibilisation pour se doter de labos de contrôle et de bureaux d’études dont ils ne disposaient pas jusque-là ; qu’en pensez-vous de ces faiblesses recensées ?

Je dirais qu’on ne réalisait pas jusque là aux normes internationales. Et pour répondre aux normes, il y a le facteur coût. Evidemment, quand on paye un Algérien par exemple quatre fois moins que l’étranger, le résultat est connu de tous. C’est normal, il y a une différence de prix, donc différence de qualité ! Un Algérien ne peut pas ramener un bureau d’étude car il est payé 4 fois moins cher. Je vous cite l’exemple le plus connu de tous qui se pratique actuellement dans le béton fait par les Algériens et celui fait par les étrangers.

C’est clair que c’est une histoire d’écart de prix qui engendre cette anomalie ? Il est normal qu’un chantier d’une entreprise ou d’un marché attribué à coût de milliards va faire une meilleure installation de chantier et qu’il va ramener un laboratoire de contrôle, etc. Nous on demande à être positionné au même niveau de prix que les étrangers, et à ce moment-là, le problème ne se posera pas.

Pourquoi les coûts diffèrent-ils entre une entreprise algérienne et une autre étrangère ?

Oui, si on vérifie les chiffres qui se pratiquent sur le terrain, l’entreprise algérienne travaille à bas prix en comparaison à l’entreprise étrangère, et cela se pratique dans tous les domaines.

Quelle est la plus-value ou les garanties si on choisit l’entreprise algérienne à l’étrangère ?

Je vous cite l’exemple des chemins de fer qui se répartissent en quatre lots : terrassement, assainissement, pose de rails, remplissage, électrification et une partie génie civil, pour ce qui est des constructions de gares. Sur tous les lots nous avons une capacité à réaliser, sauf sur le lot électrification où nous ne sommes pas qualifiés. Le manque à gagner dans ce cas, au lieu que le projet revienne à 300 millions d’euros, il reviendra à seulement 25 millions d’euros, pour la partie électrification et le reste des lots vont être réalisés par les Algériens qui restent ici et de plus sont payés en dinars. Aussi, le coût global du projet comprend jusqu’au gardiennage qui est payé en devise. On se permet de ramener même du gardiennage, sachant que ces sociétés bénéficient du gasoil algérien subventionné et de plus font de la sous-traitance avec du matériel algérien qui a été subventionné par l’Etat.

On a vu des entreprises étrangères qui ne possèdent même pas une brouette en Algérie et qui font du management avec un PC portable. Moi-même, j’étais approché par un Indou qui construit 2 000 logements à Sétif qui m’a proposé tous les lots en sous-traitance. Il ne possède qu’un PC et quelques quincailleries. Ils se font des fortunes chez nous, on n’en peut plus avec cette situation.

On sent la désolation dans vos propos en décrivant le climat régnant…

Il y a une faiblesse dans ce secteur. Il est temps qu’on la corrige. L’Algérien peut tout faire, à l’exception de quelques ouvrages spécifiques. Evidemment, on ne peut pas faire un tunnel sous la mer comme à Boston, on peut ramener les ingénieurs mais pas les sociétés qui nous coûteraient beaucoup plus cher, et en plus, il n’y a pas de transfert de savoir. A notre charge de ramener le savoir-faire, c’est pour cela que ce n’est pas subjectif ce que j’avance, il n’y a aucun pays qui a été construit par un autre. L’Algérie ne peut être construite que par les Algériens.

Est-ce que le délai a joué en faveur des choix antérieurs ?

Oui, quelque peu, mais il faut aussi alléger les procédures de passation de marchés à différents niveaux de paiement au niveau du Trésor, ainsi que les contraintes de contrôle financier, etc. Il y a un énorme manque à gagner en allégeant les procédures. Un étranger se présente, on le paye dans les 24h, alors qu’un Algérien, on le paye deux mois plus tard. Cela est-il logique ?

Au vu de ces allégations, êtes-vous plus optimiste en vous organisant ?

Le message est difficile à passer mais je suis optimiste puisque depuis peu, il y a eu du répondant dans pas mal de secteurs où des décisions ont été récemment prises.

Karima Alilatene

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